Andeas Malm est un des plus grands théoriciens de ce qu'on a appelé "l'écolosocialisme" autours des enjeux du réchauffement climatique mais pas seulement.
Présentation approfondie de L’Anthropocène contre l’histoire d’Andreas Malm
1. Contexte et objectif de l’ouvrage
L’Anthropocène contre l’histoire s’inscrit dans le champ des humanités environnementales et de la critique sociale. Publié en français en 2017, l’ouvrage entend déconstruire le récit dominant de l’Anthropocène : cette nouvelle ère géologique qui désignerait l’entrée de l’humanité dans une phase où elle est devenue une force géophysique majeure, responsable du dérèglement climatique et de la transformation profonde des écosystèmes.
Mais pour Andreas Malm, ce récit est à la fois historiquement faux et politiquement dangereux. Il entretient une illusion d’universalité anthropologique ("l’humanité en général") qui masque la responsabilité différenciée des systèmes sociaux, des puissances économiques et des classes dominantes dans la catastrophe écologique en cours.
2. Critique du concept d’Anthropocène
Le terme "Anthropocène", popularisé par les scientifiques Paul Crutzen et Eugene Stoermer au début des années 2000, désigne une époque où l’espèce humaine serait devenue l’agent principal de changement sur Terre. Ce récit, qui semble mettre tous les humains sur un pied d’égalité, efface les structures historiques de pouvoir et d’accumulation.
Malm critique cette lecture pour plusieurs raisons :
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Anachronisme politique : Le concept de l’Anthropocène fait remonter la responsabilité humaine à des temps indéterminés (la révolution néolithique, l’agriculture, ou simplement la croissance démographique), ignorant les ruptures sociales fondamentales qu’ont été la révolution industrielle et l’essor du capitalisme fossile.
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Neutralisation idéologique : En pointant "l’humanité" comme coupable, le discours de l’Anthropocène évacue les responsabilités historiques précises, en particulier celles des pays industrialisés, des entreprises polluantes, et des systèmes capitalistes extractivistes.
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Dépolitisation du climat : En transformant un processus historique conflictuel (l’industrialisation capitaliste) en processus naturel, le récit de l’Anthropocène empêche de penser les conflits sociaux nécessaires à une transition écologique juste.
3. Une alternative : le capitalocène
Andreas Malm propose de remplacer la notion d’Anthropocène par celle de "capitalocène", qui permet de réinscrire la crise climatique dans une histoire sociale et politique. L’industrialisation, selon lui, ne résulte pas d’un besoin technique ou humain général, mais bien de choix de classes, motivés par la recherche du profit et du contrôle sur la main-d’œuvre.
Il revient notamment sur :
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La préférence pour le charbon au début du XIXe siècle, non pas parce qu’il était plus efficace, mais parce qu’il permettait de concentrer l’énergie dans les villes, sous le contrôle direct du capital industriel, au détriment de l’énergie hydraulique, moins centralisable.
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La formation du capitalisme fossile comme projet de domination économique, où les choix énergétiques ont été guidés par la logique de l’accumulation et de la discipline du travail.
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La complicité historique des États et du capital dans l’organisation d’un modèle fondé sur l’extractivisme, les inégalités mondiales, et la dépendance aux énergies polluantes.
4. Une méthode matérialiste et historique
L’ouvrage de Malm se distingue par une approche matérialiste et historique, inspirée du marxisme et de la critique de l’économie politique. Il s’oppose frontalement aux approches culturalistes ou universalistes qui font du changement climatique le produit de la "nature humaine", de l’espèce ou de la modernité en général.
Il affirme que seule une analyse rigoureuse des rapports de production, des conflits sociaux et des rapports de classe permet de comprendre la genèse de la crise actuelle – et d’en sortir.
5. Une portée politique radicale
L’enjeu de l’ouvrage dépasse la simple sémantique. Il s’agit de refonder les bases d’une écologie politique réellement critique, capable de nommer les causes, les responsabilités et les rapports de force.
Pour Malm, toute tentative de répondre à la crise climatique doit être anticapitaliste, fondée sur la lutte contre les logiques d’accumulation, de consommation illimitée et d’exploitation des ressources naturelles comme humaines. Il refuse le fatalisme et appelle à une écologie de combat, ancrée dans l’histoire et les luttes sociales.
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